Sur ta tombe

Depuis combien de temps galopait-elle ? Des heures, des jours, des siècles ? Elle n'aurait su le dire. Elle en avait presqu'oublié qu'elle existait. Ni le vent qui gifflait son visage, ni les mouvements saccadés de sa montures ne pouvaient la sortir de sa torpeur. Mais il y avait une chose dont Shinra se souvenait. Pourquoi étaient-ce les souvenirs les plus douloureux qui restaient toujours ? Pourquoi le sort s'acharnait-il autant sur elle ?

Soudain, Shinra s'arrêta. Elle se trouvait non loin cependant de la ville portuaire de Pelargir, récemment prise par l'Umbar. La jeune fille descendit de son cheval et l'attacha à la lisière d'un petit bois. Elle ferait le reste du voyage à pied. Elle marcha quelques minutes dans un désert de roches ocre. Plus un arbre ne poussait là-bas. Les gens évitaient génréralement l'endroit. Elle ignorait pourquoi. Peut-être était-ce à cause de la terrible bataille qui s'y était déroulée l'année précédente. Peut-être était-ce la raison pour laquelle le sol était si peu fertile.
Arrivée à un promontoire, Shinra s'immobilisa. Elle pouvait voir Pelargir dans son ensemble d'où elle se trouvait. La vue était vraiment magnifique.
Une épée était plantée dans le sol, juste devant la jeune fille. La lame était toujours aussi étincelante et tranchante. Shinra la caressa du bout des doigts. Elle poussa un hurlement de désespoir qui résonna dans toute la plaine. Elle tomba à genoux, le visage ruisselant de larmes.

UN AN PLUS TOT

La bataille avait bien commencé. Leurs pertes étaient faibles par rapport à celles de leurs ennemis. Ils avait combattu quelques heures et la victoire était proche. Cependant, leurs ennemis ne baissaient pas les bras. Ils se battaient et résitaient avec courage, jusqu'à la mort, inévitable. Furieux, le général ordonna aux bataillons que commandaient Shinra et Valiendo de coincer l'armée ennemi au bord d'un promontoire, non loin.
Peut-être avait-il pour ordre de s'arrange pour que les deux adolescents ne reviennent pas vivants de la guerre. Les soldats de Shinra et Valiendo étaient peu nombreux, mais ceux-ci pensaient pouvoir vaincre facilement. C'est pourquoi ils décidèrent de se diviser quelques temps, pour ainsi diviser leurs ennemis. Les adversaires sz Shinra étaient affaiblis et peu enclis à se battre. Beaucoup se rendirent. Elle partit vite rejoindre Valiendo.

Celui-ci, en revanche, eut moins de chance. Ses hommes furent décimés. Toutefois, ils parvirent à réduirent considérablement le nombre de leurs ennemis. Valiendo se retrouva donc seul face à une vingtaine de soldats.
Il prit son temps avant d'attaquer. Sa fin était proche, pourquoi se presser ? Le jeune homme ferma les yeux. Il leva son épée et se toucha le front avec la lame. Tu as toujours voulu être un héros, se dit-il. Voilà le moment de faire tes preuves ! Bats-toi, Valiendo ! Pour ton honneur.
Alors, Valiendo s'élança vers ses ennemis en criant. S'en suivit un immense carnage. Le jeune homme, animé d'une force destructrice, frappaient, tranchait, sans arrêt, infatigable. Il semblait invincible. Alors qu'il avait déjà abattu une dizaine d'hommes, une flèche le toucha à l'épaule gauche. Valiendo, qui était droitier, n'en fut qu'un peu affaibli. Mais ce fut le début de la fin. Un soldat le toucha à l'abdoment, un autre à la cuisse, puis au torse... Le jeune homme cessa de compter ses blessures. Il se sentait faiblir mais refusait d'abandonner. Il avait vaincu plus de la moitié de ses adversaires. Il devait continuer.
Et Valiendo continua jusqu'à ce qu'il ne reste plus que trois ennemis devant lui. L'un d'entre eux possédait un arc et visait. Valiendo haletait. Il tenait à peine sur ses jambes. Son épée était si lourde... Pourtant, il ne la lâcha pas. Elle était son honneur et ses rêves. Il serra les dents et la leva vers le ciel.
La flèche l'atteignit en pleine poitrine. Valiendo, le souffle coupé, la regarda, surpris. Puis il s'effondra. Il entendit au loin un hurlement. Shinra...

Shinra courut vers l'archer et le décapita d'un seul coup, folle de rage. Les deux autres soldats l'attaquèrent. Ils étaient parmi les plus forts, car ils réussirent à blesser la jeune fille, qui tomba à genoux. Puis ils s'enfuirent. Elle eut juste le temps d'apercevoir leurs visages. Elle poussa un cri de rage. Puis elle se tourna vers son frère, qui gîsait à quelques mètres. Shinra était tellement affaiblie qu'elle dut ramper pour le rejoindra. Elle réussit enfin à s'agenouiller près de lui. Il avait les yeux grands ouverts et était toujours vivant...

"Valiendo...murmura-t-elle d'une voix rauque.
- Pour... nous deux...
- Nous deux ?
- Oui. Tu vas... tu vas vivre."
Par un immense effort, il parvint à lever la main et à la poser derrière la tête de sa soeur. Alors, il l'attira à lui et la posa sur sa poitrine ensanglantée. Lorsqu'elle se releva, Shinra avait la joue et les cheveux rouges de sang. Soudain, le regard de Valiendo s'éclaira. Il sourit.
"Tu pleures ?
- Quoi ? Non ! Non, je ne pleure jamais !
- Si, tu pleures."
C'était vrai. Pour la première fois de sa vie, Shinra pleura. De grosses larmes coulèrent le long de ses joues. Valiendo, malgré ses blessures mortelles, continuait à sourire. Ces larmes étaient la preuve de l'amour infini que Shinra lui portait. Son autre main était toujours serrée autour de son épée. Il fit signe à sa soeur de la prendre.
"Cette épée... est mon honneur... et mes rêves. Tu représentes mes rêves, Shinra, et je sais que tu prétègeras mon honneur... Cette épée est à toi.
- Merci, Valiendo. Je n'oublierai pas. Je t'aime."
Valiendo hocha la tête. Shinra tendit la main vers l'arme. Les doigts de Valiendo s'ouvrirent et il la lâcha. Il semblait délivré d'un grand poids.
"Shinra... est-ce que tu dirais... que je suis devenu un héros ?"
Elle sourit à travers ses larmes.
"Oui. Oui, Valiendo, tu es un héros."
Valiendo sourit. Jamais il n'avait paru aussi heureux. Alors, il ferma les yeux et mourut. Tout à coup, la pluie cessa. Un soleil éclatant repoussa les nuages. Shinra embrassa une dernière fois les lèvres de son frère et amant.
"Bonne nuit."

DE NOS JOURS

Shinra avait enterré Valiendo à l'endroit même où il était mort et avait planté l'épée sur sa tombe. Elle s'était jurée de le venger, car l'au-delà était interdit à ceux qui étaient morts invengés. Il méritait bien cela. Après tout, il était un héros. Maintenant qu'elle avait en partie accompli sa vengeance, elle venait se recueillir sur sa tombe. Il savait certainement ce qu'elle avait fait, mais elle tenait à le lui dire elle-même.

"J'ai commencé mon oeuvre. Bientôt, le second soldat sera tué, ensuite ce général puis enfin j'accomplirai l'acte qui te délivrera, mon frère. Je tuerai ceux qui ont causé notre perte. Et ensuite je te rejoindrai. Je ne t'oublie pas."

Elle appuya sa tête contre l'épée et resta longtemps immobile. Puis elle se leva et s'en alla. Elle se sentait déjà un peu plus en paix.

La deuxième partie de sa vengeance s'était déroulée comme prévue, à l'exception d'un petit contretemps guère gênant. La suite, en revanche, serait plus risquée et plus longue. Avant de partir bien loin, Shinra alla se recueillir sur la tombe de son frère. Elle s'agenouilla.

"Salut, Valiendo. Tout s'est bien passé jusqu'à présent, mais le reste sera moins... facile, et il se peut que je mette plus de temps à accomplir ma mission. Je voulais te le dire, pour que tu ne t'inquiètes pas trop si je ne reviens pas aussi vite. Mais je reviendrai, je te le jure... Voilà, c'est tout ce que je voulais te dire..."

La jeune fille resta longtemps silencieuse et immobile. Puis elle posa devant elle une pierre carrée sur laquelle elle avait gravé quelques phrases :

La douleur infinie de celui qui reste,
Comme un pâle reflet de l'infini voyage
Qui attend celui qui part

Elle devrait encore embellir la tombe, mais c'était un bon début. Dommage qu'aucune fleur ne poussait là-bas... Shinra poussa un soupir et se leva. Elle lança un ultime regard à l'épitaphe puis partit.

Maintenant qu'elle avait été soignée et qu'on avait réparé ses vêtements, Kentarione se sentait beaucoup mieux. Doté d'une nouvelle énergie, elle parcourut les environs de Perlargir à cheval. Avant de se lancer à la poursuite de l'otage Vynean, elle voulait un peu explorer les fiefs du Gondor. Le peu qu'elle en avait vu semblait magnifique ; la jeune fille avait toujours aimé la côte, le bruit des vagues s'écrasant contre le sable et les falaises... Justement, l'une de ces falaises avait attiré son attention : plus imposante que les autres, elle était d'une blancheur éclatante. La vue devait être superbe de là-bas. Bien décidée à en profier, la pirate s'y rendit, d'un calme olympien qui n'était pas le sien.

Ce qu'elle découvrit au sommet de cette falaise la laissa sans voix. Non seulement la vue était exceptionnelle, mais on aurait dit qu'une aura étrange se dégegait de l'endroit. Kentarione, bien qu'un peu mal à l'aise, inspecta les environs. L'herbe était rare, et les seules touffes peinaient à croître. On aurait presque dit que rien n'osait pousser là-bas. Que s'était-il donc passé ? La jeune fille remarqua alors une épée plantée sur le sol, devant laquelle on avait adossée une pierre blanche. Quelque chose y était écrit...

La douleur infinie de celui qui reste,
Comme un pâle reflet de l'infini voyage
Qui attend celui qui part

Une tombe... quelqu'un avait trouvé la mort à l'endroit même où elle se trouvait. Tous l'avaient oublié, sauf celui ou celle qui avait écrit cette épitaphe. Kentarione s'agenouilla, impressionnée malgré elle. L'épée était de belle fabrication et lui semblait étrangement familière... c'était une lame d'Umbar, où la jeune femme était née et avait passé la moitié de sa vie. Un de ses compatriotes était tombé ici. Lors du siège de Pelargir, peut-être ? Non, la tombe semblait quand même moins récente. Kentatione avait vaguement entendu parler d'une bataille qui avait pris place dans les fiefs, un an auparavant.

Alors qu'elle s'apprêtait à quitter l'endroit, la jeune pirate vit une autre inscritpion, gravée dans la terre. Elle était à peine lisible et la jeune femme dut plisser les yeux pour la lire. Il y avait deux mots, certainement deux noms. L'un était presqu'entièrement effacé. L'autre, en revanche...
Kentarione en eut le souffle coupé. Elle connaissait ce nom. Elle ne l'avait entendu qu'en de rares fois et n'avait même jamais rencontré cette personne, pourtant elle ne l'avait pas oubliée. Valiendo...

Soudain, ellle sentit le métal froid d'une lame contre sa gorge. Kentarione se raidit...

"Tourner le dos à l'ennemi... Pauvre folle..."

La voix de Shinra était glaciale et aussi tranchante que la lame qu'elle tendait vers le cou de l'inconnue qui avait osé se rendre sur la tombe de son frère. Elle allait payer pour cela. Aussitôt, la jeune femme se raidit. Elle leva lentement les mains en signe de reddition. Shinra eut un soupir méprisant : cette idiote imaganait qu'elle allait l'épargner ? L'adolescente l'obligea à se tourner. Alors, leurs regards se croisèrent.

Shinra se figea, la bouche grande ouverte. Impossible... cela ne se pouvait pas ! Elle ne pouvait pas être là ! N'importe qui, mais pas elle ! L'inconnue semblait aussi surprise qu'elle. Les deux jeunes femmes se regardèrent longtemps sans prononcer le moindre mot. Enfin, Shinra prit la parole.

"Je sais qui tu es... (Sa voix n'était qu'un murmure)Mais tu n'as rien à faire ici... Pourquoi es-tu là ?"

Lorsqu'il vit le visage de l'inconnue, Kentarione n'en crut tout d'abord pas ses yeux. Il ne pouvait certainement exister qu'un seul humain à posséder un tel physique. Elle en avait connu un, de nombreuses années auparavant... A l'époque, c'était encore une fillette, mais elle ses cheveux étaient déjà argentés et sa peau aussi blafarde. Ses traits s'étaient affinés avec les années et ses yeux aux pupilles verticales brillaient avec plus d'éclat. Elle avait bein grandi, aussi. Pourtant Kentarione n'eut aucun mal à reconnaître sa petite soeur, Shinra, celle que tous préféreaient oublier. Kentatione avait longtemps cru qu'elle n'était plus qu'un souvenir, on lui avait même dit qu'elle était morte au Gondor ! Certains souvenirs ne s'altéraient jamais...

"Valiendo est mort, n'est-ce pas ? Aussitôt, la pression sur la lame se fit plus forte. Kentarione l'ingora et continua. "Il était aussi mon frère. J'ai le droit de savoir. Tout comme toi tu as le droit de savoir ce que je fais ici. J'ai suivi les soldats d'Umbar pour me venger de plusieurs hommes, puis pour je me suis attaquée à un Elfe plus fort que moi qui m'a vaincue et a emporté un otage. C'est lui que je recherche. Je ne venue sur ce promontoire par hasard, parce que je pensais que la vue y serais belle. Elle l'est en effet. C'est un magnifique endroit pour une tombe... Mais il y a une chose que j'aimerais savoir également, Shinra. Tu as toujours été insensible, glaciale et distante ; tu n'as aucune valeur et ne respectes aucune loi. Alors pourquoi rends-tu un tel hommage à ton frère ?"

Incroyable... elles ne se revoyaient que depuis quelques minutes et après des années, et déjà l'ancienne haine entre elles refaisait surface... Kentarione avait réussi, en si peu de temps, à dépasser toutes les limites... Si elle continuait de cette manière, elle finirait pas devenir pire qu'elle... Non, impossible. Shinra avait déjà dépassé toutes les limites... Elle poussa un soupir à peine perceptible et relâcha la pression sur son katana. Sa soeur (l'appeler ainsi la répugnait, mais c'était ce qu'elle était) ne pouvait rien faire contre elle.

"Pour la petite histoire, je ne te crois qu'à moitié... Toi, courir après des hommes, des pirates qui plus est... Non, tu préfères les jeunes seviteurs... (Aussitôt, Kentarione se raidit, furieuse, et Shinra appuya un peu plus son cou. Une goutte de sang écarlate coula le long de sa gorge bazannée) Enfin, cela n'a plus d'importance, vu qu'il est mort... Tout comme est mort notre cher frère. Je devrais plutôt dire MON cher frère, car tu ne l'as jamais rencontré. Et, de toute manière, jamais tu ne l'aurais aimé comme moi je l'ai aimé et comme je l'aime encore, malgré tout ! Et même si cela avait été le cas, jamais tu n'aurais osé franchir la limite qui te séparais de lui ! Jamais tu n'aurais défié les règles comme nous l'avons fait ! Toi, tu aurais été malheurese toute ta vie... la conscience tranquille, certes, car tu n'aurais pas commis de crime... Mais tu aurais souffert. Moi aussi, j'ai souffert, mais parce qu'on nous a piégé. Parce qu'il est mort ! Moi, je souffre, oui, mais parce qu'on m'a arraché une partie de mon âme ! Mais moi, au moins, je sais que quand il sera vengé - et il le sera, je te le jure ! - j'aurai enfin la paix et le repos que je mérite ! Moi, j'aurai le courage d'en finir ! Le pourrais-tu ?"

Shinra perdait complètement ses moyens. Elle tremblait de colère, des larmes jaillissaient de ses yeux verts, elle hurlait. Enfin, elle déballait à quelqu'un ce qu'elle avait sur le coeur.

Kentarione était plus émue et étonnée qu'effrayée par la confession innattendue de sa soeur. Qu'elle ait enfin apprit à aimer la surprenait et, d'une certaine façon, la réjouissait, bien qu'elle aurait grandement préféré que Shirna choississent un homme autre que son frère. Confiante, la jeune femme écarta le katana du revers de la main. Shinra, dans sa colère, ne le remarqua pas.

Kentarione se leva et fit face à sa soeur cadette. Elle plongea son regard doré dans celui de sa soeur. Toutes les deux avaient les mêmes pupilles verticales. Dans le fond, elles n'étaient pas si différentes que ça... Elle aurait sûrement réagi de la même façon si elle avait été dans la même situation. D'ailleurs, n'essayait-elle pas de retrouver un jeune homme ? Qu'il soit un otage volé était devenu une excuse, plus une raison. Lentement, Kentarione posa la main sur l'épaule de Shinra. Celle-ci leva les yeux vers elle, décontenancée.

"Je sais ce que tu ressens. Mais je ne te veux pas de mal. J'accepte même de t'aider, bien que tu n'en fasses pas la demande. Je comprends que tu veuilles venger ton frère. Je suppose que tu cherches le général d'Umbar, quel est son nom déjà ? Ah, oui, Telldash, fils de Ghuydash. J'ai appris récemment qu'il était parti pour Cirith Ungol, il serait de mèche avec celui que l'on nomme Langue de Serpent. Or, l'otage que je recherche a été capturé par son serviteur. Allions-nous et trouvons-les ensemble. Nous serions ainsi satisfaites toutes les deux."

Shinra se dégagea d'un geste brutal et tourna la dos à sa soeur. Elle laissa son regard vagabonder au loin, sur les vagues, les plages, même la ville de Pelargir que l'on apercevait au loin. Puis elle regarda la tombe. Une unique larme, discrète, coula le long de sa joue. Kentarione ne la vit pas, ou fit semblant de ne pas l'avoir vue. Shinra ferma les yeux. Elle ne voulait pas voyager avec cette soeur qu'elle avait si peu connue, assez cependant pour la détester. Mais si elle l'aidait, alors sa vengeance serait plus vite accomplie et Valiendo trouverait plus vite le repos... Elle soupira, indécise. Elle rouvrit les yeux et se figea.

A côté d'elle se trouvait Valiendo. Elle sursauta. Que faisait-il là ? Il était mort ! C'était impossible !

"Shinra ? Que se passe-t-il ?"demanda Kentarione.

Shinra était donc la seule à le voir. Etai-ce un produit de son imagination ? Etait-elle en train de devenir folle ? Non. Elle l'était déjà. Soudain, à son grand étonnnement, la fantôme prit la parole.

"Salut, Shinra. Je sais tout ce que tu fais pour moi et je t'en remercie de tout coeur. Je... je ne mérite pas une telle attention. Non, ne dis rien, tu risques de dire des bêtises. Je ne viens pas pour t'aider à choisir ou te convaincre de quoi que ce soit. Je voulais juste te dire merci et saluer Kentarione, qui hélas ne peut me voir. Elle a un bon fond, tu sais, tout comme toi. S'il te plait, Shinra, je commets pas d'imprudence et ne fais pas de bêtise pour moi. Et ne ruine pas ta vie à cause de moi. Survis. Je sais que je te demande quelque chose d'énorme. Rencontre quelqu'un de bien, marie-toi si tu le désires. Pour moi. Ne gâche pas ta vie pour un souvenir, pour un amour interdit. Tu mérites mieux que ça. S'il te plait. Pour moi."

Il tendit la main vers elle. Ses doigts se refermèrent autour de ceux de Shinra et tout à coup, son corps devint immétariel et disparut petit à petit. Shinra refoula avec peine les larmes qui lui montaient aux yeux. Elle resta longtemps immobile, perdue dans ses pensées. Puis elle se tourna vers sa soeur, qui la regardait avec un drôle d'air.

"Je pars avec toi. Mais nous irons d'abord vers le Nord. Chez les Elfes."

Elle n'ajouta rien de plus. Kentarione se contenta d'acquiescer en silence, sans demander la raison de cette étrange décision, puis elle lui fit signe de la suivre. Shinra lança un dernier regard à la tombe de Valiendo, qu'elle ne reverrait plus avant longtemps.

"Rien ne sera pareil sans toi. Je suis désolée. Mais certaines choses sont au-dessus de mes forces... Au revoir, Valiendo. A bientôt..."

Il neige. C'est le printemps, et pourtant il neige. C'est étrange. Le paysage est tout coloré, il y a le bleu de la mer, le blanc de la neige, mais aussi le vert de l'herbe qui n'a pas encore été recouverte. On voit aussi les petites touches de couleur que sont les fleurs ; elle ne dureront pas longtemps.
Moi seule déteins de cet environnemment multicolore. Je suis de noir et blanc. Je dois certainement gâcher le paysage...

J'avance dans la neige. Le vent souffle dans mes cheveux. Enfin j'arrive devant la tombe. Elle n'est pas encore recouverte ; on pourrait presque croire que le temps l'a épargnée. C'est stupide, bien sûr, et pourtant c'est ce qui me vient à l'esprit. La pierre est toujours aussi lisse que le premier jour. Rien qu'à la voir, je sens mon coeur se briser.

Le monde est pourri. J'aurais aimé le changer, mais tout ce que j'ai pu faire n'y changera rien. Je laisse cette tâche à d'autres, qui auront plus de patience et de force que moi. Mais souvenez-vous de moi. Gardez ma mémoire. Et ceci... sera mon héritage.

Ils sont plusieurs dizaines. Je n'ai même pas besoin de les voir pour deviner leurs intentions. Ils me haïssent, sans raison d'ailleurs. Moi, je ne leur ai rien fait. Nous n'avons aucune raison de nous entretuer, et pourtant c'est ce que nous allons faire. C'est dans la nature humaine de tuer ses semblables. Cela aussi, c'est stupide. Mais puisque je n'ai pas d'autre choix... alors je vais me battre. Et je mourrai à tes côtés...

Le premier soldat arrive à ma portée. Je lève mon arme et le fauche en plein milieu de son mouvement. J'ai l'impression que tout se déroule au ralentit. Et puis soudain, tout se précipite. Déjà, un autre est proche. Cette situation m'est étrangement familière. Je l'ai déjà vécue. Mais la dernière fois, je défendais un être cher. Maintenant, je me bats pour le rejoindre. Mais j'emporterai autant d'ennemis que possible dans la mort !

Le combat se déroulait avec acharnement, Shinra abbatait ses ennemis un par un, mais ceux-ci commenèrent à l'entourer. Shinra se précipita vers l'un des soldats, évitant ainsi d'être pris de tout les côtés. Poussant le soldat et donnant des coups de pommeau de son arme l'un après l'autre sur son casque en s'écartant le plus possible du combat.
Shinra acheva son combat en transperçant son ennemi, puis toujours aussi féroce, elle se retourna vers les autres guerriers...

Shinra avait rarement vu des batailles aussi violentes. Cependant, elle reconnaissait que cela avait une certaine beauté macabre, ou du moins c'était artistique. Cela ressemblait à une danse funèbre, aux mouvements fluides, précis et harmonieux, qui ne donnaient pas le droit à l'erreur. Des rubans de sang ondoyaient autour des guerriers, s'envolaient puis retombaient sur le sol avec les morts. Même leur chute était artistique.

Shinra avait l'impression que tout se déroulait au ralentit, silencieusement. Elle se surprit même à frapper à l'aveuglette. Et soudain, tout sembla se précipiter. La jeune fille para les coups qui pleuvaient sur elle du mieux qu'elle put. Une douleur fulgurant la figea.

Shinra était encore bien vive, mais afféblie et les soldats étaient nombreux.
Un des gardes l'attrapa par les cheveux et la tira en arrière alors qu'elle était engagé avec un autre. Elle fut projeté au sol et les gardes se jetèrent sur elle. Shinra se débattait du mieux qu'elle pouvait mais on lui arracha son sabre des mains et au lieux de la tuer d'un coup, les gardes commencèrent à s'amuser avec, la balançant sur le sol.
Mais la jeune fille s'empara de son couteau et transperça la gorge de l'un d'entre eux. S'emparant de son katana, elle refit face...

Elle était épuisée et blessée, pourtant Shinra se battait toujours avec autant de férocité. La tentative de ses ennemis avait attisé sa colère. De plus en plus frénétique, elle commença à repousser tous ceux qui l'entouraient, créant un cercle vide autour d'elle. Elle pouvait mourir, oui, mais jamais elle ne laisserait ces barbares profiter d'elle. Ils durent le comprendre, car ils ne firent pas d'autre tentative.
Cependant, ils ne se laissèrent pas faire. Un soldat banda son arc et visa la jeune guerrière. La première flèche la toucha dans les côtes.

Petit à petit, la vision de l'humaine se troubla. A chaque secondes, son temps sur la terre du milieu se racourcissait...
Shinra tomba à genoux, sous la douleur de la blessure, tout était flou. Un des gardes s'approcha lentement pour l'égorger, mais reprenent ses forces elle se releva et lui planta son katana dans le ventre. Elle se retourna et d'un coup de lame, décapita l'archer. Mais elle sentit un grand coup dans son dos et une douleur froide la prenait. Elle s'appuya sur son katana, et voyant pour une dernière fois le monde, tomba au sol et s'en alla pour de bon...

"Non mais c'est pas vrai !"

Kentarione cria tellement fort qu'elle fit sursauter Krome qui somnolait à côté d'elle. Folle de rage, la jeune fille venait de faire irruption dans la pièce. Comme elle s'ennuyait, elle avait voulu proposer à sa soeur de se balader, et était sortie de leur petite maison, pour découvrir que Shinra avait disparu. Kentarione avait évidemment retourné toute leur demeure et les environs, mais il n'y avait aucune trace de sa soeur. Personne ne l'avait vue, à l'exception d'un enfant qui aurait vu une silhouette sombre s'enfuir vers les falaises. Et soudain, Kentarione avait compris.

"Mon imbécile de soeur n'en fait encore qu'à sa tête, mais cette fois, je ne la laisserai pas faire, grommela la jeune femme. Dépêche-toi, idiot, il faut la retrouver avant qu'il ne soit trop tard !"

Elle donna une tape violente sur la tête de Krome. Bien réveillé, il ramassa ses armes d'un coup et les deux amis sortirent en courant de la maison. Il ne leur fallut pas longtemps pour atteindre la falaise où se trouvait la tombe de Valiendo. Ils purent voir des silhouettes au sommet. Ils n'étaient pas tant, mais le combat semblait d'une violence inouïe. Kentarione poussa un cri, dégaina son sabre et fonça vers les soldats. Krome la suivit, l'esprit un peu embué. Ils n'eurent aucune difficulté à tuer le reste des ennemis. Mais aucune trace de Shinra. Alors que la panique commençait à s'emparer d'elle, Kentarione remarqua un cadavre différent des autres. Elle hurla.

Shinra gîsait sur le sol, dans une mare de sang pourpre. Ses yeux étaient grands ouverts et sa poitrine se soulevait par à-coups. Elle était à peine vivante. Kentarione se précipita vers elle et la prit dans ses bras. Sa petite soeur ne sembla même pas le remarquer. Son regard fixait le vide devant elle. Son corps était secoué de frissons.

"Shinra ! Je t'interdis de mourir, tu m'entends ? Je te l'interdis ! Tu ne peux pas partir comme ça... tu ne peux pas. Parce que... parce que tu es ma petite soeur et que malgré tout... je t'aime..."

Quelques soldats l'entouraient, mais pas assez pour le stopper. Très vite plusieurs têtes roulèrent jusqu'à ses pieds. A quelques mètres, Kentarione criait sur un des cadavres. Qu'était-elle en train de faire enfin ? Krome la fixa quelques secondes et plissa les yeux. Un sifflement, pareil à celui d'une bourrasque violente lui fonça dedans. Une flèche s'enfonça dans son bras, dans la chair et les nerfs. La douleur le paralysa partiellement et s'apercevant que de nombreux archers s'approchaient, il recula vers le bord de la falaise.

il put enfin voir le visage du corps que Kentarione réprimendait. Il n'y croyait pas, cela ne pouvait se produire, pas à nouveau... Il allait pleurer. "Tu ne l'aimes pas..."

- Quoi ?
"Tu ne l'as jamais aimé..."
- Silence. Tu ne sais pas de quoi tu parles !
"Tu penses vraiment avoir des sentiments ?! Pauvre ignorant."
- TAIS TOI !

Fou de rage, il fonça dans le tas, arrachant au passage la flèche qu'il avait dans le bras. Les derniers enemis tombèrent et tel les soldats fraichement égorgés, il tomba à genou, choqué par ce qui venait de se passer.

Shinra cligna plusieurs fois des yeux. Elle était incapable de faire un mouvement de plus. L'esprit embué, elle ressentit tout de même quelque chose de chaud sous elle : c'était sa soeur qui la tenait dans ses bras. Elle eut également vaguement conscience de la présence de quelqu'un d'autre; Krome sans doute. Mais c'était bien le dernier de ses soucis ! D'ailleurs, qu'avait-elle à craindre à présent qu'elle se trouvait au seuil de la mort ?

La douleur, cependant, était terrible. Pratiquement insupportable. La jeune fille espérait que tout serait vite fini. Mais évidemment, on ne voulait jamais la laisser tranquile. Elle comprit lentement les paroles de sa soeur et comprit qu'elle pleurait. Oui, Kentarione pleurait. Krome aussi semblait extrêmement malheureux. Mais tout cela n'avait plus d'importance à présent. C'était trop tard. Mais avant de partir, Shinra avait quelque chose à leur dire. Elle remua un peu pour attirer l'attention de sa soeur et murmura faiblement :

"En Lorien... chez Amayelle... donne lui mon katana... s'il te plait... Tu le reconnaîtras tout de suite. Ne me hais pas.

Soudain, une troisième personne apparut. Shinra fut la seule à la voir.

C'était un jeune homme d'à peine plus de quinze ans. Il se tenait là, devant elle, et lui souriait. Tout simplement. Alors pour une fois, Shinra se dit que tout serait simple. Elle lui sourit à son tour et le fantôme de Valiendo lui tendit la main. Etrangement, la saisir parut à sa soeur d'une simplicité... Son bras qui auparavant était si lourd lui parut très léger. Enfin, leurs mains se joignirent et Valiendo tira sa soeur vers lui. Shinra eut l'impression de s'envoler. C'était une sensasion incroyable. Heureuse, elle ferma les yeux et se laissa emporter.

C'est fait. Elle est morte. C'est fini.
Je n'en reviens toujours pas. Et pourtant, je savais que cela arriverait. Je pense que je l'ai même espéré, à un moment. A présent, j'en ai honte.
Oui, cette fille était bornée, stupide parfois, égoïste et même monstrueuse, mais c'était ma soeur. A présent je comprends que je l'aime.
Pourquoi est-ce qu'on se rend compte à quelle point les gens comptent pour nous quand ils sont morts ?

Kentarione plongea vers le corps sans vie de sa soeur, secouée de sanglots. Jamais elle n'aurait imaginé que sa douleur serait si grande. Non loin, Krome aussi semblait souffir. Tous les deux restèrent longtemps ainsi, immobiles. Enfin, Kentarione redressa la tête et se leva. Son regard était dur et résigné. Alors, avec Krome, ils enterrèrent Shinra à côté de son frère. Ensuite, ils achetèrent une nouvelle pierre sur laquelle ils gravèrent quelques mots. Enfn, Kentarione prit le katana et l'accrocha à sa ceinture.

"Krome, réjouis-toi, nous rentrons en Lorien. Shinra m'a confié une mission, et j'ai bien l'intention de la remplir."

- Moi qui croyait que retourner en Lorien allait me réjouir, ma peine est encore trop grande et récente pour que je puisse esquisser ne serait-ce qu'un sourire. Allons vers les Bois d'or, et par pitié, respectes le silence en ce temps de souffrance.

Les vents du nord venait à la rencontre de Krome. Il lui murmurait à l'oreille les appels de la Dame. Le froid faisait à nouveau frémir ses narines. Assis sur son pur-sang, il avait la tête basse et l'oeil humide, triste de quitter le sud, triste d'avoir perdu une amie. Et alors qu'il priait pour elle, et alors que tous semblait sombre et mauvais, son esprit s'éclaircit, et il revit son visage.

Les oiseaux tournoyaient au dessus de leut tête, tel un nuage mortel qui attendait une seconde d'inattention pour fondre sur sa proie. Un serpent glissa sous les sabots de son destrier, sifflant. Même la nature semblaient maléfique à ses yeux. La lumière disparut, et laissa place à l'ombre, un voile noir qui s'abattit sur son coeur.

A présent, son regard enfoui dans la capuche devint terne. Il avait perdu cette magie, cet éclat qui le rendait si vivant.

» La tombe de Daïn II