Une rencontre inhabituelle

Le guerrier avait décidé de faire une halte à Cair Andros afin de vider sa bourse dans plusiers échoppes avant de repartir pour un nouveau contrat qui devait l'amener à Minas Tirith. Durant sa halte, l'homme avait laissé son cheval aux étables les plus proches. Il fit ses achats mais alors qu'il revenait chercher sa monture, celle-ci avait disparu. Le jeune palefrenier était apeuré, Waylander lui faisait peur pourtant il lui raconta ce qui s'était passé. Cinq hommes étaient entrer, des brigands selon lui, ils avaient volé un cheval au hasard, ce fut celui de Waylander. Le guerrier remercia le garçon et lui donna quelques pièces, sans attendre Waylander quitta -à pied- la cité de Cair Andros, il avait bien l'intention de retrouver sa monture. Une bête magnifique, un hongre noir qu'il avait acheté dans un haras plus au Sud, près d'Ich'ahon en Khand. En plus de cela, les brigands avaient volé tout l'équipement que portait son cheval, y compris ses vêtements de rechange et tous ses vivres.

A peine quelques heures plus tard, après avoir suivi à la trace le petit groupe grâce aux empreintes grossières qu'ils laissaient derrière eux. Quelle bande de crétins, pensa-t-il alors. Bientôt il les aperçut, au loin près d'une petite clairière au beau milieu d'un bois d'Ithilien. Ils avaient fait halte pour festoyer et jouir de leur larçin, ils n'auraient peut-être pas dû...

En s'approchant, camouflé par les broussailles, Waylander les examina avant de passer à l'action. Cinq, ils étaient bel et bien cinq comme le garçon lui avait dit, hommes à l'allure de bandits, leurs habits sales montraient qu'ils n'étaient pas des experts en vol puisqu'habillés de loques. Le guerrier gloussa. Il remarqua également qu'un sixième homme était là, attaché à un arbre, les bandits le torturaient. Vraiment quelle bande de crétins... mais Waylander n'en avait cure, il était là pour récupérer son cheval, pas pour sauver un jeune homme inconscient qui s'était fait avoir par ces types.

Waylander sortit de sa cachette, son arbalète chargée sous sa cape, son capuchon baissé, le regard dur, les muscles tendus prêts à s'activer d'une seconde à l'autre.

"Rendez-moi mon cheval." dit-il tout en continuant d'avancer.

Les hommes se retournèrent, surpris par cette voix ténébreuse. Sur le coup, ils crurent que de nombreux hommes étaient derrière eux pour les tuer, mais en se retournant quel fut leur soulagement de voir qu'un seul homme se tenait devant eux. Tout de noir vêtu, il continuait d'avancer vers eux, la cape rabattut sur ses bras.

"Vous avez entendu. Rendez-le moi. Maintenant." répéta Waylander.

Waylander s'était soudain arrêté lorsque l'un des hommes s'était adressé à lui. Le plus courageux ou le plus stupide... Le guerrier le scruta une nouvelle fois, ses yeux cachés par la pénombre que produisait sa capuche sur son visage sombre. Il ne s'était pas trompé, ces hommes étaient bien des crétins, des crétins trop sûrs d'eux et de leur force.

"Dans ce cas, je le prendrai moi-même." répondit l'Assassin.

Le temps sembla alors s'arrêter. Le "chef" du groupe blessé dans son orgueil fit mine de dégainer son épée du fourreau, aussitôt le bras droit de Waylander se leva à l'horizontal. L'homme s'écroula par terre, un carreau dans son oeil gauche qui avait transpercé son cerveau. Puis un second trait fila dans l'air, un deuxième bandit fut arraché à la vie d'un carreau en plein coeur, son arbalète déchargée, Waylander la jeta au sol. L'Assassin détacha le noeud retenant sa cape qui glissa à terre, il fit ensuite une roulade sur le côté alors que les trois derniers hommes se ruaient sur lui. De nouveau sur ses appuis, un genou à terre Waylander se saisit de l'un de ses couteaux et foudroya aussitôt un nouvel ennemi, l'arme de lancer dans la gorge de l'homme.

Le quatrième bandit était sur lui, brandissant sa lame au-dessus de sa tête, hurlant de toutes ses forces pour se donner du courage. Waylander dégaina son sabre et fit un pas sur sa gauche, laissant son ennemi fondre sur lui. Un choc d'acier retentit dans les sous-bois alentours puis d'une feinte astucieuse, Waylander évita l'épée de son adversaire et laissa glisser sa main le long de son bras. Le sabre pénétra la cage thoracique du brigand, lui transperçant un poumon et ressortant de son dos. Le souffle coupé, l'homme tomba à genoux. Cet ennemi n'était pas encore allongé sur le sol que Waylander était déjà prêt à combattre le dernier des cinq hommes qui lui avaient volé sa monture. Mais ce dernier, peut-être moins inconscient que ses compagnons fit volte-face et courrut pour sauver sa vie, il haletait, son coeur battait la chamade lorsqu'une douleur vive au dos le fit chuter sur une racine. Un couteau planté dans sa colonne vertébrale, il souffrait le martyr et ne pouvait plus bouger. Il rampait désespérément.

Le temps reprit son cours. Waylander essuya son sabre sur la tunique d'un cadavre puis récupéra ses couteaux, sa cape et son arbalète. Durant quelques secondes, le guerrier prit la peine de retirer les petits bouts de terre et d'herbe coincés sur son arme fétiche. Il récupéra ses deux carreaux et -passant devant l'homme en train de ramper- retira violemment son couteau de son dos et lui trancha machinalement la gorge. Il ne souffrirait plus. Waylander se dirigea alors vers les chevaux des brigands. Il retrouva son hongre, ses affaires étaient toujours là, une chance. Waylander monta alors en selle, sans aucun remord. Il s'apprêtait à partir, l'homme attaché à l'arbre toujours au même endroit. Le guerrier le laisserait-il pourrir là ?

Les sabots du hongre frappaient le sol avec cadence. Le soleil penchait vers l'Ouest, bientôt il aurait disparu derrière les Montagnes Blanches. Waylander du haut de sa salle, pivota sur lui-même et s'appuya sur les reins de sa monture. Le jeune prêtre était en mauvais état, ses nombreuses plaies béantes lui faisaient perdre beaucoup de sang rapidement. Le martyr parvint à articuler quelques mots, il suppliait le guerrier de le libérer. Waylander le regardait fixement, examinant de loin ses blessures.

"Pourquoi ? Pourquoi te sauverai-je la vie, prêtre ? Je ne te dois rien." lança-t-il sur un ton si non-chalant.

Sur le coup, Waylander remarqua que le prêtre ne savait quoi répondre à cette question si étrange. Puis alors qu'il voulait répondre à Waylander, il fut pris de nausées et s'évanouit à moitié. Le guerrier pesta puis fit demi-tour vers le prisonnier. Il descendit de selle et s'approchant de l'arbre, il trancha les liens qui retenaient le prêtre au tronc centenaire. Le blessé s'effondra sur lui-même et Waylander réussit à le saisir avant qu'il ne touche le sol. Il l'allongea délicatement puis examina de plus près ses plaies, le jeune homme était salement amoché, il avait besoin de soin au plus vite. Waylander le déshabilla complètement, il retourna ensuite à son cheval et fouilla dans une sacoche attachée à sa selle. L'Assassin revint vers son patient avec du fil et une aiguille ainsi qu'avec des feuilles d'athélas. Il recousit l'une après l'autre les larges plaies du prêtre tandis que ce dernier était évanoui. Lorsqu'il eut terminé son travail de chirurgien, la nuit était arrivée et avec elle, d'éventuels dangers supplémentaires. Waylander défit la sangle de sa selle et posa une fine couverture sur le dos de son hongre puis retournant près du prêtre inconscient, il alluma un feu avec quelques brindilles sèches.

Quelques minutes après, Waylander était en train de nettoyer tous les mécanismes de son arbalète, sa dague posée près de lui au cas où. Dans le même temps, le guerrier mangeait un bout de viande séchée avec des fruits comestibles, c'est alors qu'il entendit un léger bruit de douleur. Il tourna la tête et put alors voir le jeune prêtre nu se réveiller...

Le prêtre s’était finalement redressé. Waylander le regarda un instant alors que le jeune homme scrutait les alentours, méfiant. Le contraste était saisissant entre les deux hommes, l’un était si frêle, si jeune et si innocent tandis que l’autre si froid, si fort et tellement sombre. Pourtant ces deux hommes si différents s’étaient finalement rencontrés et plus étonnant encore, Waylander avait fait demi-tour pour libérer Dardalion. L’Assassin n’en revenait toujours pas lui-même, il avait sacrifié sa propre sécurité en restant sur les lieux du combat et en soignant le prêtre. D’autres brigands auraient pu surgir et les attaquer. Pourquoi Waylander l’avait-il sauvé ? Quel maléfice l’avait donc atteint pour qu’il fasse une chose pareille ? Le guerrier n’en savait rien.

« Tu es drôle, prêtre. Je me moque bien de savoir ce que tu penses de moi. » lui cracha-t-il.

Waylander rajouta quelques brindilles dans le feu, la nuit était maintenant complète, l’on pouvait presque discerner la lune à travers les sapins. L’Assassin fouilla ensuite dans sa sacoche et en sortit une gourde d’eau qu’il lança à Dardalion.

« Bois. Tu as perdu beaucoup de sang, prêtre. Une heure de plus et les crébains te dévoraient les entrailles. »

Le guerrier semblait frustré, l’agacement se lisait sur son visage. La jambe pliée, il appuya son bras contre sa rotule. A la lueur des flammes, le visage sombre de Waylander paraissait à la fois diabolique et protecteur. Ses traits étaient durs mais son assurance et son calme faisaient de lui un homme intouchable, une force de la nature, immortelle et indéfectible. C’est alors qu’une ombre apparut dans les buissons, un grognement rauque émanait de cette silhouette massive. Elle s’approchait du feu, deux yeux orangés se reflétaient dans les flammes. Bientôt des dents apparurent, blanches et acérées comme une lame aiguisée. Dardalion put sentir que Waylander n’éprouvait pas la moindre peur, il regardait l’animal dans les yeux.

« Sutures, au pied. » lança-t-il alors.

Le chien avança alors, il tirait à présent la langue. Il vint se frotter contre Waylander qui lui caressa alors le derrière des oreilles. Le guerrier tourna la tête vers le prêtre, il remarqua que Dardalion n’avait pas été aussi rassuré que lui à l’approche de Sutures.

« Une question m’obsède, prêtre. Pourquoi diable ne t’es-tu pas défendu contre ces types ? Est-ce que croire aux Valar, t’empêche de sauver ta peau ? »

Attendant que Dardalion lui réponde, Waylander ajouta :

« Prends ces vêtements là, dit-il en montrant du doigt un tas d’habits marrons, ce sont mes affaires de rechange, tu devras faire avec, tes habits sont déchirés et plein de sang séché. »

Waylander écoutait le jeune prêtre parler tout en caressant son chien, celui-ci semblait d'ailleurs apprécier l'attention soudaine que son compagnon lui portait ce soir. Le molosse n'allait pas se plaindre. Pendant ce temps, l'Assassin était envahi de questions plus stupides, les unes que les autres. Que faisait-il ici ? Pourquoi s'encombrait-il de ce fichu prêtre ? Lui avait-il jeté un sort ? Ou plutôt une malédiction selon Waylander. Un fin sourire apparut sur ses lèvres lorsque Dardalion lui parla de la non-violence et des êtres purs...

"Bah ! Tu parles de non-violence et de pureté, pourtant tu es bien content que je t'ai sauvé la peau, prêtre. Tes yeux ont parlé pour toi, tu ne voulais pas mourir comme la plupart des gens." lança Waylander sans regarder son vis-à-vis.

Les mains du guerrier quittèrent le crâne de Sutures qui, contenté, alla se coucher près du feu. Son maître, lui, tourna ensuite la tête vers Dardalion. Il semblait mal à l'aise avec ces vêtements, des habits de tueur sur un corps de prêtre non-violent... belle ironie. Waylander attrappa sa dague et commença à l'affûter avec un silex bien taillé. Le frottement régulier entre la pierre et l'acier était franc et sûr, le guerrier n'avait pas l'intention d'abîmer sa lame. Bien qu'il n'ait pas le don de voyance et qu'il ne lise pas dans les pensées, Waylander devinait aisément ce à quoi pensait Dardalion quand il le regardait.

Décidément Waylander ne comprenait pas qu'on ne puisse pas tenir à la vie, à sa propre vie car d'après ce qu'il avait compris, ce prêtre aimait les autres, tous les autres hommes qu'il soit bon ou mauvais, deux principes sujets à polémique. Après quelques instants, l'Assassin tendit un bout de viande au prêtre, Sutures releva la tête, le nez en l'air.

Waylander entendait par là que l'animal l'avait repéré et s'était donc préparé pour fuir, lorsque le carreau l'avait atteint, ses muscles étaient tendus, rendant la viande moins savoureuse. Il y a dix ans, le cerf n'aurait même pas su qu'il était mort... il y a dix ans, Waylander était encore jeune...

Agacé mais pas étonné que le prêtre refuse son morceau de viande, Waylander détourna le regard. La nuit était déjà avancée, le sommeil commençait à le gagner. Il lui fallait prendre du repos, les jours pochains seraient rudes pour Waylander. En effet, il avait eu vent que des tueurs de Harad étaient à ses trousses, il n'en avait pas peur mais sa position actuelle -et ce prêtre collé à ses bottes- le rendait vulnérable à une possible attaque nocturne. Sutures comme tout chien serait malgré tout aux aguets et le préviendrait sûrement de l'approche d'un inconnu. Tandis que Dardalion priait, l'Assassin se prépara pour dormir : il installa une couverture sur le sol et éteignit le feu, seules quelques braises persistaient encore juste de quoi éclairer le visage des deux hommes.

Waylander retira sa cape qu'il enroula soigneusement pour la poser sur le sol et s'en servir d'oreiller. Par précaution, il garda son baudrier et ses couteaux et posa son arbalète à côté de sa cape. L'Assassin tourna alors la tête et vit alors une lueur argentée autour du prêtre et au moment où il allait lui demander ce qu'il se passait, il s'aperçut que les blessures du prêtre étaient en train de disparaître. Ce Dardalion n'était pas normal, ses pouvoirs de guérison étaient impressionants, plusieurs fois par le passé, Waylander aurait aimé avoir cette capacité de soin. Pff s'il faut croire aux Valar sans tuer ni manger de viande... pensa-t-il. C'est alors que le vent se leva brusquement faisant bouger les branches des arbres entourant les deux hommes.

Sutures couché aux pieds de son maître leva subitement le museau en l'air. Le coup de vent avait ramené des odeurs vers eux et le chien d'arènes ne mit pas longtemps à se lever et à renifler tout en grognant doucement. Il n'en fallait pas plus à Waylander pour libérer son instinct de guerrier. Remis sur pied, l'Assassin enclencha son arbalète.

Même s'il se doutait que Dardalion ne s'endormirait pas suite à cela, Waylander se mit à courir et disparut bientôt dans les buissons. Il était impossible d'y voir à deux mètres, l'obscurité régnait en maîtresse. Sutures s'était recouché, les yeux rivés dans les bois devant lui. Il savait que quelqu'un approchait... Waylander s'était dissimulé, l'Assassin scrutait les alentours. Il entendit une branche se casser non loin de lui. Sans bruit, il se retourna vers l'origine du bruit et patienta alors qu'une silhouette dans la nuit tendait à apparaître.

Une voix féminine perça l'air dans la nuit claire. Waylander la regardait avec méfiance, une jeune fille qui se promenait seule à cette heure en pleine forêt. Etrange. Le guerrier se redressa alors et toisa la jeune femme. Elle était un peu plus petite que lui mais sa prestance et son allure grâcieuse dévoilaient ses traits elfiques bien qu'il ne discerne pas ses oreilles dans l'obscurité. Waylander jeta un regard furtif sur les côtés, elle ne semblait pas être suivi. Tant mieux.

L'Assassin fit alors demi-tour, l'arbalète en main. Il baissa la tête pour éviter une branche et s'appuya sur un tronc couché qu'il enjamba. Le vieux guerrier tourna à nouveau la tête derrière lui. La femme était toujours là. Semblant à la fois si fragile et si forte. Waylander jura entre ses dents. Ce prêtre lui avait jeté un sort, il en était sûr mais n'avait aucune preuve. Et voilà qu'une nouvelle fois, une inconnue s'insinuait dans sa vie.

Waylander fit un signe de tête vers la jeune fille, l'invitant à venir avec lui. Mais comment l'Assassin pouvait-il tout d'un coup devenir prévenant envers autrui, il ne le savait pas lui-même. De retour au camp, Dardalion et Sutures purent voir que Waylander ne revenait pas seul, quelques mètres derrière lui une jeune femme fit son apparition.

En passant devant Sutures pour aller se recoucher, Waylander lui flatta les oreilles avant de se rallonger sur le sol.

" On se revoit demain matin. Bonne nuit. " dit-il sur un ton froid.

Sutures l'imita et se coucha à ses pieds. Dardalion et Ehlara étaient maintenant les deux seules personnes encore éveillées alors que la nuit avançait.

Le guerrier ne s'endormit pas aussitôt, il était couché dos à ses deux nouveaux compagnons. Il les écouterait parler si jamais le prêtre et la jeune fille devaient échanger des paroles avant de dormir. Il écouterait et s'endormirait, un couteau en main comme toujours depuis près de vingt ans...