Et le Rohan répondra !

Ainsi c'était vrai. Le Mordor lançait son offensive sur le Gondor. Théoden observait en silence la flèche noire à pointe rouge sur le table devant lui. Hirgon, le messager du Gondor le regardait d'un oeil grave. Les mains du vieux roi tremblaient. Les légions de l'Oeil étaient-elles aussi puissantes et nombreuses que ce que les rumeurs prétendaient ? Le Rohan sortait à peine de sa crise. Théoden se souvenait encore avec amertume la bataille du Gouffre de Helm et son entrevue avec Saroumane. Ce fut une victoire certes. On la fêta dans tout le royaume et durant plusieurs jours et plusieurs nuits le château d'or de Meduseld résonnait des bruits des convives, des chants, de la musique, des danses, des rires. Pourtant, tous avaient perdu quelque chose dans cette guerre contre l'Isengard, tous avaient souffert, tous étaient des victimes ? Pourquoi alors, Théoden ne parvenait-il plus à sourire désormais ? Comment cela se faisait-il qu'il se sentait incapable de bien gouverner son peuple. Ces jours de malheur étaient pour lui, pas pour son peuple, pour lui. Il venait de perdre son fils unique, son dauphin et il se sentait coupable de toutes les horreurs que son peuple avait eu à affronter.

"Le Gondor appelle à l'aide..."

Les mots de Hirgon étaient restés en suspens. Tout le monde observait Théoden, ce vieillard fébrile dont les épaules devaient tant supporter. Mais le souverain de Rohan ne se plaignait pas. N'était-ce pas là son devoir que de faire face à tout ce que son peuple pouvait endurer ? N'était-ce pas là son devoir que de défendre le Rohan et la Terre du Milieu contre l'opression de Sauron et de ses séides tel que le fut Saroumane le Blanc ? N'était-ce pas là son devoir que de se sacrifier pour sa nation ? Les vieux hymnes qui narraient l'union entre le Rohan et le Gondor, lors de laquelle Eorl le Jeune et le Surintendant Cirion conclurent un pacte inviolable lui revenait en tête. Allait-il laisser Denethor et les siens mourrir ? Allait-il rester en Rohan seulement pour préserver quelques semaines de plus l'avenir si sombre des Rohirrim ? Soudain Théoden posa ses mains sur la table. Il ne tremblait plus et semblait s'être ragaillardi quand il prononça ces mots :

"Et le Rohan répondra ! Rassemblez les Rohirrim !"

Un sourire se lisait sur le visage de Hirgon alors que les lieutenants et maréchaux s'affairaient aux préparatifs. Le temps pressait et chaque jour voyait la Porte Noire vomir de nouvelles légions de soldats, orques mais aussi des hommes venus du Sud et de l'Est. Les cloches sonnaient dans tout Edoras et les fils des familles nobles sellaient leurs chevaux et mettaient leurs armures. Leurs lances et boucliers rutilants brillaients sous le soleil froid de ce matin de mars. Ils attendaient leur roi. Suivant les directives qu'on leur avait données : ils le suivraient dans les combats et frapperaient là où il frapperait, s'arrêteraient là où il s'arrêterait :

"Ce n'est plus mon temps, avait-il dit. Aucune eored ne sera là pour suivre Théoden le Vieux. Que les jeunes fils de la noblesse me suivent de près et voient de quelle manière se battaient les rois de jadis, à la pointe de l'assaut."

L'espoir n'avait pourtant pas totalement quitté l'esprit du vieil homme. Il ne cessait de répéter que ce ne serait pas une défaite comme il l'avait dit au Gouffre de Helm pour redonner espoir à ses hommes. Mais Théoden ne pensait pas survivre à cette bataille. Ce serait son ultime rédemption, le moment pour lui de prouver sa valeur avant de rejoindre le panthéon des descandants d'Eorl. Un mélange d'humilité et d'orgueil envahissait son esprit, bien que ces deux notions soient si contradictoires. Serait-il à la hauteur ou devrait-il vivre éternellement pour rester honteux à jamais ? Alors qu'il passait les portes de son palais, entouré de ses lieutenants, il vit les cavaliers d'Edoras prêts à partir. Théoden donnait ses dernières directives à Hama :

"La milice restera ici pour défendre Edoras. Nous ne pouvons pas nous diriger vers Minas Tirith avec trop de fantassins de peur de nous ralentir. Tu resteras ici pour t'occuper de l'administration de la ville. Nous ne risquons rien dans cette partie du pays."

Puis, ce tournant vers Deorwine, le fils-soeur d'Erkenbrand :

"Tu iras voir ton oncle au Gouffre de Helm. Dis-lui de ne pas dégarnir le front de l'Ouestefolde. Je lui remet le commandant suprême de toutes les troupes du pays pour s'occuper de sa défense. Chevauche légérement et prestement, de manière à nous retrouver au plus vite. Je compte sur toi pour la bataille qui s'annonce."

Enfin, Théoden se tourna vers le reste de ses lieutenants, parmi lesquels se trouvaient Grimbold et Elfhelm qui occupaient la place de maréchaux de la Marche sans pour autant en porter le titre. Il leur dit à tous :

"Parcourrez le Riddermark et ammenez à Dunharrow tout bon soldat qui pourrait nous être utile en Gondor. Vous avez trois jours. Passé ce délai, c'est la guerre."

Théoden s'avança, prêt à descendre les escaliers quand Hama lui demanda :

"Devons-nous avertir Eomer ?"

Le silence s'installa pendant de longues minutes. Théoden restait là sans rien dire et tous savaient que la décision du roi ne serait pas mince. C'est à ce moment que Turak répondit :

"Ma lignée a déjà trop de fois été mise en péril. Nous ne pouvons pas avoir de roi à la guerre sans héritier sur le trône. A compter de ce jour, Eomer est déclaré officiellement Roi de la Marche. Je n'ai plus rien à dire."

Tous acquiescèrent et allèrent aux écuries. Théoden monta Nivacrin, cet éalon blanc si beau sous l'astre du jour, dont le père, Piedléger, fut l'ancienne monture d'Ednew. Théoden se dirigea vers la double porte d'Edoras. Il se tenait le dos courbé sur la selle de son cheval. Grimbold, Elfhelm, Deorwine et les autres lancèrent leurs chevaux au galop, accompagnés chacun d'environ cinq hérauts. Nivacrin fit un pas en avant. Théoden se trouvait désormais totalement en dehors d'Edoras qu'il ne retrouverait jamais, il le savait. Il regarda avec amertume les tertres de ses aïeux et en particulier celui de Theodred, ce fils à qui il avait survécu. A ce moment, Théoden vit son étendard :

"Ainsi, c'est devant les murs de Minas Tirith que se scellera le destin de la Terre du Milieu. J'irai de l'avant, affronterai la mort. Pourvu que le doute ne me prenne pas de cours. Mériterai-je d'être enterré ici, auprès de mes pairs ?"

C'est alors que Guthlaf hurla, d'une voix qui redonna vigueur à tous les hommes rassemblés ici :

"Cavaliers du Rohan, vous avez prêté serment ! Respectez-le ! Pour le seigneur, et la terre !"

A ce moment, la colonne se mit en branle. Théoden allait le premier, avec à ses cotés Guthlaf et les quelques seconds qui restaient avec lui. Derrière venaient les chevaliers de Meduseld, suivis de prêt par l'eored d'Edoras. Enfin, un colonne de fantassins avançait plus lentement, déterminés à suivre leur seigneur.

Le Rohan partait en guerre...